Sujet texte en L bac 2009: Philomag donne des éléments de corrigés

Publié le par MISTER L.

Des dissertations assez difficiles en L, mais un sujet texte, trèa abordable et plaisant à traiter !

« Il n'y a pas de satisfaction qui d'elle-même et comme de son propre mouvement vienne à nous ; il faut qu'elle soit la satisfaction d'un désir. Le désir, en effet, la privation, est la condition préliminaire de toute jouissance. Or avec la satisfaction cesse le désir et par conséquent la jouissance aussi. Donc la satisfaction, le contentement ne sauraient être qu'une délivrance à l'égard d'une douleur, d'un besoin ; sous ce nom, il ne faut pas entendre en effet seulement la souffrance effective, visible, mais toute espèce de désir qui, par son importunité, trouble notre repos, et même cet ennui qui tue, qui nous fait de l'existence un fardeau. Or c'est une entreprise difficile d'obtenir, de conquérir un bien quelconque ; pas d'objet qui ne soit séparé de nous par des difficultés, des travaux sans fin ; sur la route, à chaque pas, surgissent des obstacles. Et la conquête une fois faite, l'objet atteint, qu'a-t-on gagné ? Rien assurément, que de s'être délivré de quelque souffrance, de quelque désir, d'être revenu à l'état où l'on se trouvait avant l'apparition de ce désir. Le fait immédiat pour nous, c'est le besoin tout seul, c'est-à-dire la douleur. Pour la satisfaction et la jouissance, nous ne pouvons les connaître qu'indirectement ; il nous faut faire appel au souvenir de la souffrance, de la privation passée, qu'elles ont chassées tout d'abord. Voilà pourquoi les biens, les avantages qui sont actuellement en notre possession, nous n'en avons pas une vraie conscience, nous ne les apprécions pas ; il nous semble qu'il n'en pouvait être autrement ; et, en effet, tout le bonheur qu'ils nous donnent, c'est d'écarter de nous certaines souffrances. Il faut les perdre pour en sentir le prix ; le manque, la privation, la douleur, voilà la chose positive, et qui sans intermédiaire s'offre à nous. »

Schopenhauer – Le Monde comme volonté et comme représentation

Extrati de PHILOMAG, l'excellent magazien de pHILO


http://philomag.com/fiche-philinfo.php?id=133

Éléments d'introduction.

Bien souvent, lorsque nous voyons se réaliser enfin ce que nous avons ardemment désiré, la satisfaction que nous éprouvons paraît bien minime par rapport à l'intensité du désir qui nous animait. Loin de nous procurer le bonheur, la satisfaction de nos désirs ressemble ainsi davantage à une forme de déception. C'est à ce phénomène que s'intéresse Schopenhauer dans ce texte extrait du Monde comme volonté et comme représentation. Il y explique en effet que nous n'accédons à la satisfaction et à la jouissance qu'indirectement et en réalité négativement, comme annulation de la privation et de la souffrance que représente le désir. Par là, il apporte des éléments de réponse à la question suivante : pourquoi ne parvenons pas à accéder au bonheur même lorsque nous voyons nos désirs satisfaits ? Pourquoi sommes-nous inlassablement soumis à des désirs qui ne semblent pas pouvoir nous rendre heureux et dont nous ne parvenons pourtant pas à nous défaire ? Schopenhauer s'intéresse ainsi ici à cette réalité mystérieuse que constitue le désir, à mi-chemin entre plaisir et souffrance et dont nous avons finalement du mal à déterminer s'il constitue quelque chose de positif ou de négatif dans notre existence.
Il y pourtant bien là un paradoxe : ce que montre ici Schopenhauer, c'est que la satisfaction n'en est pas vraiment une et que, paradoxalement, pour connaître la satisfaction il nous faut « faire appel au souvenir de la souffrance, de la privation passée » (l.14). Plus surprenant encore, il affirme « le manque, la privation, la douleur, voilà la chose positive » (l.19). Comment justifier une telle thèse ? Comment comprendre que la satisfaction ne soit vécue que dans la mémoire des privations vécues ?
Le texte s'organise en trois temps. Dans une première partie, Schopenhauer explique que le désir est synonyme de privation et de souffrance (du début à « … fait de l'existence un fardeau » l.7). Ensuite, il s'emploie à expliquer pourquoi la satisfaction ne nous procure pas la joie que nous pouvions en attendre (de « Or, c'est une entreprise difficile… » l.7 à « … l'apparition de ce désir » l.12). Enfin, dans un dernier temps, il peut conclure sur sa thèse : nous ne connaissons la satisfaction qu'indirectement et seules la privation et la douleur se donnent à nous directement.


Première partie (de « Il n'y a pas de satisfaction… » l.1 à « … nous fait de l'existence un fardeau. » l.7).

Dans cette première partie, Schopenhauer développe l'idée qui va servir de point d'appui à sa thèse : le désir est souffrance.
D'abord, il caractérise la satisfaction. Elle n'est pas immédiate, mais ce que l'on appelle la satisfaction, c'est la satisfaction d'un désir. Nous n'éprouvons pas de satisfaction spontanément, comme sentiment de jouissance qui se donnerait à nous, mais seulement lorsqu'un désir est comblé. Par là, il lie de manière indissociable satisfaction et désir. La satisfaction est satisfaction d'un désir.
Or, qu'est-ce que le désir ? C'est ce qui suit dans le texte (à partir de la ligne 2). Le désir est une privation, qui est « condition préliminaire de toute jouissance » comme nous venons de le voir. Nous appelons jouissance le soulagement éprouvé à voir cesser la privation que constitue le désir. En effet, le désir en lui-même est attente, espoir, dans lequel nous souhaitons prendre possession d'un objet (ou d'un être) qui n'est pas nôtre et dont nous éprouvons le manque. Je ne désire que ce que je n'ai pas. C'est la raison pour laquelle le désir est caractérisé comme souffrance : c'est une privation, un manque dont nous avons conscience et dont nous souffrons.
Il y a donc trois moments à distinguer : le désir comme privation (et donc souffrance), la satisfaction comme moment où ce manque qu'est le désir prend fin parce qu'il est comblé, la jouissance qui est le sentiment éprouvé lors de la satisfaction. C'est sur la nature de ce sentiment que le questionnement porte : est-ce, finalement, du plaisir ou un simple soulagement à voir cesser la souffrance que représentait le désir ?
La suite du texte (à partir de la ligne 4) répond à cette question : la jouissance est en effet soulagement, « délivrance » dit le texte. D'ailleurs, ce soulagement à l'égard d'une souffrance éprouvée est très large, très général. Comme le dit la fin de cette partie, il s'agit bien sûr des souffrances manifestes, conscientes (le désir amoureux), mais aussi de souffrances moins violentes, qui causent des désagréments ou des troubles – ce que nous appellerions une simple « envie » et même, ce qui semble être l'absence de sentiment : l'ennui qui est, en somme, l'alternative au désir. Soit nous désirons et sommes dans l'état de souffrance décrit plus haut, soit nous ne désirons rien et nous sombrons dans un ennui qui est tout autant source de trouble.

Transition. La violence de ce désir qui est souffrance et n'est que souffrance ne devrait-elle pas rendre la jouissance encore plus intense lorsque la satisfaction arrive enfin ?

Deuxième partie (de « Or, c'est une entreprise difficile… » l.7 à « l'apparition de ce désir » l.12).

La seconde partie du texte va s'employer à montrer comment, paradoxalement, la violence du désir, l'intensité des efforts à produire pour le voir satisfait aboutissent à un résultat, littéralement, nul, c'est-à-dire qui n'apporte « rien assurément » (l.10).
Schopenhauer commence par montrer en quoi la satisfaction de cette privation que constitue le désir nécessite d'importants efforts. Le monde matériel et humain interpose de multiples obstacles entre l'objet désiré et moi. Si la satisfaction du désir est prise de possession de l'objet, il faut que je puisse me l'approprier, le faire mien. Il y a donc une dimension matérielle indéniable de cette entreprise et, comme nous le savons bien, elle échoue souvent ou, si elle réussit, c'est au prix d'efforts importants pouvant réduire la distance qui me tenait séparé de l'objet, pouvant surmonter les obstacles qui m'empêchaient d'en prendre possession. Le désir n'est pas un moment passif, mais, au contraire, actif et pénible (« difficile, difficultés, travaux sans fin, obstacles, conquêtes… »). Satisfaire son désir est en réalité défini ici comme un travail au sens de labeur.
Cette description insiste sur le caractère pénible de la satisfaction d'un désir par contraste avec le résultat : que ressort-il de ces efforts, de ce labeur : « rien assurément ». On n'a rien « gagné ». En effet, je n'ai en réalité rien acquis, mais j'ai supprimé une souffrance. La satisfaction est une soustraction et non une addition : elle consiste à supprimer la douleur que représente le désir, mais pas à me procurer quelque chose de plus que ce que j'avais auparavant. Il y a là bien entendu un paradoxe, si l'on définit le désir comme privation et la satisfaction comme une prise de possession de l'objet « manquant », alors ce moment devrait être un moment dans lequel j'acquiers quelque chose. Mais en réalité, le sens de ce phénomène n'est que de supprimer la souffrance.
Ainsi, je retourne en arrière pour revenir à l'état qui précédait le manque. Si on écrit la chronologie des événements, cela donne la chose suivante : état 0 (état initial) – état disons « -1 » (état de désir, de privation) – état « +1 » (moment de la satisfaction où l'objet désiré est obtenu) = état « 0 » (retour au point de départ). Étant revenus à notre point de départ, nous pouvons en effet dire que c'est tout comme si rien n'avait eu lieu !

Transition. Pourtant, même ponctuellement, nous éprouvons une véritable satisfaction lorsque nous obtenons l'objet désiré. À quoi cela tient-il ? Comment Schopenhauer rend-il compte de ce sentiment ?

Troisième partie (de « Le fait immédiat pour nous… » l. 12) à la fin).

Dans cette dernière partie, Schopenhauer conclut en exposant la thèse : la satisfaction est un sentiment réel, mais éprouvé indirectement et pour ainsi dire construit alors que la souffrance est positive, c'est-à-dire immédiate, nue.
Schopenhauer dès le début de cette partie fait la comparaison entre le besoin, la douleur, la souffrance immédiate que constitue la privation et donc le désir et la satisfaction qui est elle, indirecte. Pour éprouver le manque, je n'ai besoin de rien d'autre que de vivre le manque lui-même. C'est pourquoi il évoque le « besoin tout seul » (l.12). Au contraire, la satisfaction est indirecte. Elle ne peut pas être directe, en effet, car elle n'est en elle-même rien, comme nous l'avons vu dans la partie précédente. En revanche, si nous pensons à l'état dans lequel nous étions auparavant, l'état qui précède la satisfaction, cette souffrance qui est « condition préliminaire de toute jouissance » (l.3) alors nous ne pouvons qu'être satisfaits de notre état présent. Satisfaits au sens le plus littéral du terme : c'est-à-dire que nous comparons le présent et le passé, la satisfaction présente et la souffrance passée et nous préférons naturellement notre situation actuelle, par où l'on éprouve cette jouissance indirecte qu'évoque ici l'auteur.
C'est pourquoi, poursuit le texte, nous « n'apprécions pas » les biens que nous possédons. « Il nous semble qu'il n'en pouvait être autrement », expression étrange qui semble signifier que nous considérons comme un dû l'obtention de ce que nous désirions. Cette idée fait sens dans la perspective de ce que nous venons de dire : puisque nous retournons à notre état initial une fois le désir satisfait, nous retournons à notre état pour ainsi dire « normal », ce qui explique que nous éprouvions ce retour au point de départ comme quasiment nécessaire.
Ainsi, Schopenhauer peut conclure : seule la souffrance est positive, non bien sûr qu'elle soit un sentiment agréable, mais elle est positive par opposition à la satisfaction qui est elle indirecte, spéculative et éprouvée par la négative : par l'intermédiaire de la représentation de ce qu'elle n'est pas, de l'état qu'elle supprime.

Éléments critiques.

Schopenhauer s'inscrit dans la tradition de la critique du désir comme souffrance qui asservit l'homme et ne peut le rendre heureux. Voir, par exemple, Platon – Gorgias (tonneaux des Danaïdes).
Il y a d'autres manières, toutefois, d'expliquer l'incapacité du désir à rendre heureux. C'est notamment ce que tente d'expliquer Kant dans Les Fondements de la métaphysique des moeurs : nous ne pouvons dire ce que nous désirons pour être heureux, car le bonheur est un état stable et durable or nous ne pouvons dire à coup sûr ce dont l'obtention nous procurerait un tel bonheur. Ce qui oppose désir et bonheur, c'est aussi la question du temps, et pas seulement la question de la jouissance. Le désir est ponctuel, le bonheur durable (c'est d'ailleurs ce que dit aussi Schopenhauer dans d'autres passages de son oeuvre).
Mais ne peut-on pas, toutefois, s'accommoder de ce désir qui nous habite ? C'est ce que Rousseau dans La Nouvelle Héloïse tente de penser. Il part du même constat que Schopenhauer mais pour montrer qu'il faut prendre acte de notre nature bornée et chercher la jouissance là où elle se trouve : dans l'anticipation et l'excitation de l'imagination que constitue le moment même du désir, qui précède la satisfaction. « Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! » s'exclame-t-il ainsi.

Publié dans Actu

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