LA NOTION D ESSENCE dans l' Euthyphron de Platon

Publié le par Prof

Euthyphron de Platon
La notion d’essence
(un passage difficile)

 

  1. Définition générale : On appelle essence, ce qui constitue la nature d’une chose, ce qui est en soi, indépendant du reste. Une qualité essentielle est une qualité qu’on ne saurait ôter sans dénaturer la chose. Par exemple, avoir les yeux bleus n’est pas essentiel pour être un homme ( on dit que la couleur des yeux est accidentelle). Par contre, un être qui n’est pas mortel ne saurait être un homme. L’essence renvoie donc à la caractéristique propre d’une chose, aux propriétés fondamentales.
  2. Chez Platon, la notion d’essence,  trouve plusieurs formes d’expression. Ousia est le terme le plus commun pour séparer les propriétés essentielles des caractères accidentelles. Or, ici Socrate cherche bien à distinguer l’essence de la piété de ses accidents. Parfois, le texte grec propose des nuances entre l’eîdos , l’élement actif de l’essence, la forme inspiratrice, la causalité formelle, ( ex. l’artisan avant de construire son lit se réfère à l’Idée du lit… ; l’artiste s’inspire de l’Idée de beauté, même s’il ne la représente, ensuite qu’imparfaitement dans son œuvre) et l’idéa l’élément passif de l’essence, c’est-à-dire la plénitude d’être, la perfection sans mélange, l’ Idée, ou la Forme, au-delà du monde sensible.
  3. Dans le passage à expliquer :  ( 5d-6 e, deuxième partie : -6 b – 6e)C’est-à-dire, après l’introduction, l’objection de Socrate  première définition de la piété.

C’est par ce qu’ Euthyphron est convaincu d’avoir raison, et d’être exemplaire en matière de piété, que Socrate, en bon, dialecticien, lui reproche d’être certain d’avoir raison sans même avoir vérifié ce qu’on appelle  piété. Il faut s’en référer à l’essence si l’on veut être sûr que nos actes sont conformes à L’idée, sans perdition ; car, si le fait de traîner son père en justice ne relève ps de l’essence de la piété, alors, c’est toute la certitude qui s’effondre, et donc la pertinence de l’action intentée.

L’objection de Socrate ( 6b- 6 e) à la première définition d’ Euthyphron ( 5b- 6b) témoigne de la rigueur de la démarche philosophique et met en évidence plusieurs fonctions de l’essence.

Quel est donc l’intérêt de rechercher la Forme en vertu de la quelle toutes les choses sont pieuses ( ici eîdos, par ce que c’est l’élément qui inspire l’action) ?

Fonction logique, fonction éthique et fonction ontologique.

*Fonction logique : La notion d’essence sert d’abord à identifier un être. Ici, il s’agit de se faire une conception claire et distincte de la piété. Qu’est-ce qui est pieux et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Sera pieux, ce qui présentera les caractères du vrai : universalité et nécessité. Or définir la piété par l’exemplarité de l’action d’ Euthypron c’est en rester à un cas particulier. Il faut savoir prendre du recul par rapport à notre expérience. Comme dans l’allégorie de la caverne, il faut décoller de notre réalité vécue, de nos premières représentations, pour vérifier que nous sommes dans le vrai. Définir, c’est tracer des frontières, cela demande d’intellectualiser.

**La fonction éthique de l’essence : Socrate est à la recherche d’une norme. Pourquoi viser l’essence et ne pas se référer à la tradition ? Socrate aurait pu chercher une autorité religieuse pour savoir ce qui est pieux. C’est qu’il ne suffit pas d’obéir aux lois et aux coutumes de son pays pour être juste et pieux. La notion d’essence permet donc de chercher un MODELE qui transcende les normes culturelles. Elle est donc un PHARE dans l’océan des conduites.

*** La fonction ontologique :  PLATON avec sa théorie des formes trace une carte géographique du réel. Le monde sensible, qui nous est connu par l’expérience ne constitue pas la seule réalité ( voir encore l’allégorie de la caverne). La réalité est aussi ce qui est compris par l’esprit. Le monde intelligible donne même tout son sens au monde sensible. Ce que je fais dépende de l’idée plus ou moins claire que j’ai  de quelque chose (de la justice ou de la piété…). Parler d’ontologie c’est parler de la structure du réel, de cette gradation entre différents types de réalités : celles que je sens , que je touche qui sont physiques, et celles que je conçois ( qui sont dites métaphysiques).L ‘essence ou encore chez Platon ( et chez Platon seulement, pas même chez le vrai Socrate) se dit aussi bien la Forme ou l’ Idée. L’ Idée est donc l’idée la plus pure, la plus vraie. La réalité sensible est mélangée. Par exemple, personne n’incarne vraiment LA BEAUTE ( sauf moi ? lol), mais chacun participe à sa manière à l’Idée de la beauté, et chaque artiste s’en  fait sa représentation ( sa petite idée, sans majuscule) .L’ Idée est l’un qui s’oppose au multiple, le pur, sans mélange, l’absolu et non le relatif, le parfait et non l’approximatif.

 

  1. Socrate voulait qu’ Euthypron lui enseigne l’essence de la piété , et lui a demandé, non sans l’ironie légendaire qui le caractérise, ainsi de le sauver de son propre procès pour impiété. Pour agir avec tant de persuasion, il faudrait connaître l’essence de la piété. Une fois qu’on a pris conscience, avec Platon que l’essence a une triple fonction logique, éthique, ontologique, on ne peut plus croire que la réponse est évidente.
  2. Dans le passage à expliquer le pieux et le juste semblent être employés indistinctement : c’est parce que 2 procès sont intentés pour impiété. Mais, la République, ne saurait confondre la perspective religieuse et politique : le principe de la laïcité aide à distinguer les registres.  L’œuvre dans sa globalité pose vraiment le problème de la confusion des sphères religieuses et politiques. On pourrait même distinguer ce qui est moral, de ce qui est politique. La notion de justice est suffisamment vaste…Déjà Socrate en amenant à réfléchir sur ce qui est pieux en tant que pieux, permettait de prendre du recul par rapport à la tradition grecque de religion civile. Aujourd’hui encore, chaque croyant a tendance à chercher la piété à l’intérieur de sa tradition culturelle : on voit quels sont les problèmes posés dans la France multiculturelle (excision, mariage forcé..). La dialectique  n’est donc pas seulement un jeu intellectuel, elle a des enjeux  éthiques et politiques…

 

Publié dans PLATON

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