Textes sur la PERCEPTION

Publié le par Prof

  d'autres textes à consulter sur le site de l'académie de Grenoble. Philosophie, vous trouverez là une belle base documentaire.

Nietzsche - Perception (1)
La perception, mesure de l'existence, n'est qu'erreur en soi

Mon œil, qu’il soit perçant ou faible, ne voit pas au-delà d’un certain espace, et dans cet espace je vis et j’agis, cette ligne d’horizon est mon plus proche destin, grand ou petit, auquel je ne peux échapper. Autour de chaque être s’étend ainsi un cercle concentrique qui a un centre et qui lui est propre. De même l’oreille nous enferme dans un petit espace, de même le toucher. D’après ces horizons où nos sens enferment chacun de nous comme dans les murs d’une prison, nous mesurons ensuite le monde, nous nommons ceci proche et cela lointain, ceci grand et cela petit, ceci dur et cela mou : ces mesures, nous les nommons sensations - et tout cela, absolument tout, n’est qu’une erreur en soi ! D’après la quantité d’expériences et d’excitations qui nous sont possibles en moyenne en un temps donné, nous mesurons notre vie, la trouvant courte ou longue, riche ou pauvre, remplie ou vide : et d’après la moyenne de la vie humaine, nous mesurons celle de toutes les autres créatures, - et tout cela, absolument tout, n’est qu’erreur en soi !


Aurore, § 117, Traduction J. HERVIER, Paris, Gallimard (Idées, 322) pp. 128-129


 

Alain - Perception (1) La perception est une fonction d'entendement

On soutient communément que c'est le toucher qui nous instruit, et par constatation pure et simple, sans aucune interprétation. Mais il n'en est rien. Je ne touche pas ce dé cubique, Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et lisses, et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est cubique. Exercez-vous sur d'autres exemples, car cette analyse conduit fort loin, et il importe de bien assurer ses premiers pas. Au surplus, il est assez clair que je ne puis pas constater comme un fait donné à mes sens que ce dé cubique et dur est en même temps blanc de partout, et jamais les faces visibles ne sont colorées de même en même temps. Mais pourtant c'est un cube que je vois, à faces égales, et toutes également blanches, Et je vois cette même chose que je touche, Platon, dans son Théétète, demandait par quel sens je connais l'union des perceptions des différents sens en un objet.

Revenons à ce dé. Je reconnais six taches noires sur une des faces, On ne fera pas difficulté d'admettre que c'est là une opération d'entendement, dont les sens fournissent seulement la matière. Il est clair que, parcourant ces taches noires, et retenant l'ordre et la place de chacune, je forme enfin, et non sans peine au commencement, l'idée qu'elles sont six, c'est-à-dire deux fois trois, qui font cinq et un. Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main et pour l'œil, me font connaître un cube ? Par où il apparaîtrait que la perception est déjà une fonction d'entendement.


Les Passions et la Sagesse, Pléiade, p. 1076.

Merleau-Ponty - Perception (1) L'apparence est constitutive de la vérité et nous conduit à l'Etre

Chaque perception est muable et seulement probable; si l'on veut ce n'est qu'une opinion ; mais ce qui ne l'est pas, ce que chaque perception, même fausse, vérifie, c'est l'appartenance de chaque expérience au même monde, leur égal pouvoir de le manifester, à titre de possibilités du même monde. Si l'une prend si bien la place de l'autre — au point qu'on ne trouve plus trace un moment après de l'illusion —, c'est précisément qu'elles ne sont pas des hypothèses successives touchant un Etre inconnaissable, mais des perspectives sur le même Être familier dont nous savons qu'il ne peut exclure l'une sans inclure l'autre, et qu'en tout état de cause, il est lui, hors de contexte. Et c'est pourquoi la fragilité même de telle perception, attestée par son éclatement et la substitution d'une autre perception, loin qu'elle nous autorise à effacer en elles toutes l'indice de «réalité», nous oblige à le leur accorder à toutes, à reconnaître en elles toutes des variantes du même monde, et enfin à les considérer non comme toutes fausses, mais comme «toutes vraies», non comme des échecs répétés dans la détermination du monde, mais comme des approches progressives. Chaque perception enveloppe la possibilité de son remplacement par une autre et donc d'une sorte de désaveu des choses, mais cela veut dire aussi: chaque perception est le terme d'une approche, d'une série d'«illusions» qui n'étaient pas seulement de simples «pensées», au sens restrictif de l'Etre-pour-soi et du «rien que pensé», mais des possibilités qui auraient pu être, des rayonnements de ce monde unique qu'«il y a»... — et qui, à ce titre, ne font jamais retour au néant ou à la subjectivité, comme si elles n'étaient jamais apparues, mais sont plutôt, comme le dit bien Husserl, «barrées», ou «biffées», par la «nouvelle» réalité. La philosophie réflexive n'a pas tort de considérer le faux comme une vérité mutilée ou partielle: son tort est plutôt de faire comme si le partiel n'était qu'absence de fait de la totalité, qui n'a pas besoin qu'on en rende compte, ce qui finalement supprime toute consistance propre de l'apparence, l'intègre par avance à l'Être, lui ôte, comme partiel, sa teneur de vérité, l'escamote dans une adéquation interne où l'Etre et les raisons d'être ne font qu'un.


Le Visible et l'invisible, Gallimard, 1964, pp. 64-65

Kant - Perception (1) Si l'apparence nous trompe, c'est que l'entendement juge mal

Les sens nous représentent le cours des planètes comme s'effectuant tantôt en avant, tantôt en arrière, et il n'y a là ni erreur ni vérité, parce que tant qu'on se borne à n'y voir qu'un phénomène, on ne porte pas du tout encore un jugement sur la condition objective de leur mouvement. Mais parce que, si l'entendement ne prend bien garde d'empêcher que ce mode subjectif de représentation ne soit tenu pour objectif, il peut facilement se produire un jugement faux, l'on dit qu'elles semblent rétrograder; l'apparence ne doit pas être mise au compte des sens, mais bien au compte de l'entendement à qui seul il revient de porter un jugement objectif d'après les phénomènes.


Prolégomènes à toute métaphysique future, trad. J. Gibelin, Vrin, 1968, p.55


 

 


Publié dans La perception

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article