anecdotique : ALAIN à Lorient

Publié le par Prof

ALAIN à Lorient

«Je mis le pied dans une ville très gaie et très remuante »

Emile Chartier (1868-1951)

 

                  Alain est l’un des plus grands philosophes du XX°, c’est un intellectualiste, humaniste  et républicain, attaché à la laïcité, à la fois radicalement libéral et de sensibilité de gauche.

 On  recommande souvent pour s’initier à la philosophie ses Propos sur  le bonheur. Il a inventé un style simple (et néanmoins profond) sous forme de petits articles qu’on peut lire à son rythme. …Il a le mérite de penser l’existence et de ne pas se dissimuler derrière une opacité ( à laquelle ont cédé bien des figures du siècle , en recherche d’aura).

D’origine  relativement modeste (une mère institutrice et un père vétérinaire), il se révèle  très doué et pourtant, son parcours n’a pas été linéaire, tant il a souvent préféré le chahut et l’humour potache au sérieux des études…Ironie du sort, lui qui a tant critiqué ses professeurs deviendra l’une des grandes figures  du professeur de philosophie. Le romancier André Maurois, qui fut son élève ( tout comme Simone Weil et Raymond Aron) retient de son enseignement : qu’ « il était possible d’être un homme et de l’être dignement, noblement »

 

Mise à part une première affectation abracadabrantesque en collège, le premier véritable poste de prof du jeune Emile fut en à Pontivy, où il eut la charge d’une classe de petits paysans en blouse bleue et en sabots : une année de travail acharnée bien récompensée car tous les élèves ont obtenu leur diplôme, cela dit, ils  n’étaient que 3.

Voilà ce qu’il dit de la « PROVINCE, lieu plein de pièges. Une puissance de dissimulation extraordinaire, qui peut donner à un profond diplomate, pendant toute une vie, l’apparence d’un niais[…] La province consomme bien plus d’énergie et d’ambition que Paris ne peut le faire. Celui qui a traversé le feu de la province sans fondre, celui qui a pu lutter sans être vaincu, ou céder sans être écrasé, sur le théâtre d’une petite ville de province, celui là est digne de gouverner et y arrive sans peine. »

 L’année suivante conduisit le philosophe à Lorient, et là il découvre avec des classes nombreuses le problème de la discipline : « C’est que je voyais les causes ; la frivolité toujours née du dernier matin ; le bonheur de rire ; la contagion toute physique du bruit ; la légèreté aussi de l’estime et de l’affection que l’on aime à supposer dans les élèves, et qui y sont bien, mais faibles, sans racines dans la nature, et emportés comme des fœtus à la moindre occasion. Ces réflexions amères, qui en cessèrent de m’occuper pendant tout le temps de mon métier, contribuèrent à me le rendre pesant. […]C’est une des raisons pour lesquelles j’ai quitté le métier sans regret, et même, pour être franc, avec plaisir. »

Cela dit, Lorient fut pour lui l’occasion de s’investir dans la vie du lycée, il a été souffleur pour une pièce de théâtre, il a fondé une revue philosophique…et les nuits étaient festives… Alain se sentait à la fois heureux de découvrir Lorient bien qu’il souffrait de problèmes de santé (dont une partie repose sur le surmenage, et l’autre sur un mal d’oreille que les antalgiques n’existant pas encore, rien en savait soulager).

Il consigna ses souvenirs et réflexions  dans un double ouvrage Les cahiers de  LORIENT, bien qu’il l’ ait rédigé à Rouen , c’est à Lorient qu’il avait acheté son premier calepin toilé.Il fit des rencontres mémorable :« Sortant donc de ma retraite, je mis le pied dans une ville très gaie et très remuante. J’y trouvai deux camarades. Et ce fut une espèce de fête nocturne pendant six ans qui me guérit de mes humeurs. Alors je connus un peu le monde des coloniaux et des navigateurs. Je me mis à penser navires et canons, sans aller bien loin. »Sur la fin de son séjour en Bretagne, il finira par écrire : «  Nous autres, les bretons. » (sic)       

C’est aussi à Lorient que l’intellectuel engagé est né ! Il fonde un journal : La dépêche de Lorient, journal des Bleus de Bretagne, où il laisse sa plume radicale naviguer au fil de ses convictions. C’est là qu’il appris à faire simple, voyant que le public préférait ses chroniques à ses figures stylistiques. L’écrivain est mort à Lorient mais le militant y est né. Il est amusant de noter que le journal ne survécut pas au départ d’ Alain…( il faut préciser qu’il y passait de longues nuits, écrivant parfois pour les autres sans signer.)

Alain en avait-il finit avec la Bretagne ?

C’est la passion qui l’amena à y retourner fréquemment . Il fit l’acquisition d’une maison au Pouldu : qui lui permettait de peindre, et de profiter des beaux yeux de Marie-Monique, devenue secrétaire de son œuvre. Quant à l’officielle Gabrielle, elle préféra embarquer pour les Etats-Unis plutôt que d’imaginer son époux auprès de la vierge et dévouée bretonne. Ce départ laissa Emile Chartier inconsolé…

A noter que c’est Alain qui a dessiné le puits de cette petite maison,..et d’ailleurs le lieu s’appelle désormais « Puits-Fleuri »

Frédéric Lair

Sources : Thierry Leterre Alain, Le premier intellectuel.

 

 

 

Quelques lectures possibles :

Système des beaux arts . Entretiens au bord de la mer . Propos sur l’éducation . Mars, ou la guerre jugée . Propos sur le bonheur. Eléments de philosophie

Textes d’ ALAIN Emile Chartier (1868-1951)

 

*Qu’est-ce que penser ?

« Il y a de l’imbécile en tout homme, et en large art. Un homme est imbécile en ce qu’il se laisse déformer par les causes extérieurs. Imbécile qui change ses pensées pour plaire. Imbécile celui qui prend des opinions comme des manteaux de mode. Imbécile celui qui aime malgré lui, c’est-à-dire celui qui ne sait pas se reprendre, et aimer volontairement ce qu’il allait aimer par contrainte(…) Imbécile celui qui croit au lieu de penser. La foi n’est pas imbécile, la crédulité est imbécile. » Libres propos.

« Ce qui est aisé à croire ne vaut pas la peine de croire ; et c’est ici que le sceptique a raison. Croire au loup, ce n’est pas difficile ; il suffit d’avoir peur ; et nul ne s’applique à avoir peur ; bien plutôt on voudrait s’empêcher d’avoir peur. Il n’est pas  difficile non plus d’être jaloux, ni de croire d’après cela des choses en effet très croyables, mais qui, remarque le sceptique, ne sont pas prouvées pour cela. Croire le journal, ce n’est guère plus que le lire ; c’est encore plus facile quand ce qu’on me donne à croire est agréable, par exemple si mon adversaire politique est présenté comme menteur ou fripon ; toutefois, cette facilité à croire ne vaut pas le plus petit commencement de preuve. Et il arrive souvent qu’un mouvement de colère achève la prétendue preuve. Si je suis battu ou humilié dans une discussion, je suis jeté à croire  bien plus volontiers que l’autre a tort. Et tout le mal des querelles vient de cette complaisance et même lâcheté à croire ce qui est plaît.[…]Si la pensée est quelque chose, la pensée n’est certainement pas uen complaisance à soi ; encore plus évidemment la pensée juste n’est pas une complaisance à soi. »  Minerve, ou la sagesse.

 

 

** Comment vaincre nos peurs ?

« Comment expliquer qu’un pianiste qui croit mourir de peur en entrant sur la scène, soit immédiatement guéri dès qu’il joue ? On dira qu’il ne pense  plus avoir peur ; et c’est vrai ; mais j’aime mieux réfléchir plus près de la peur elle-même et comprendre que l’artiste secoue la peur et la défait par ces souples mouvements des doigts. Car, comme tout se tient en notre machine, les doigts ne peuvent être déliés si la poitrine ne l’est aussi ; la souplesse comme la raideur envahit tout ; et, dans ce  corps bien gouverné, la peur ne peut plus être. Le vrai chant et la vraie éloquence ne rassurent pas moins, par ce travail mesuré qui est alors imposé à tous les muscles. Chose remarquable et trop peu remarquée, ce n’est point al pensée qui nous délivre des passions, mais c’est plutôt l’action qui nous délivre. On ne pense point comme on veut ; mais quad des actions sont assez familières, quand les muscles sont dressés et assouplis par gymnastique, on agit comme on veut. Dans les moments d’anxiété n’essayez point de raisonner, car votre raisonnement se tournera en pointe contre vous-même ; mais plutôt essayez ces élévations et flexions des bras que l’on apprend maintenant dans toutes les écoles ; le résultat vous étonnera. Ainsi le maître de philosophie vous renvoie au maître de gymnastique. » Esquisses de l’homme.

 

« Lorsqu'un petit enfant crie et ne veut pas être consolé, la nourrice fait souvent les plus ingénieuses suppositions concernant ce jeune caractère et ce qui lui plaît et déplaît ; appelant même l'hérédité au secours, elle reconnaît déjà le père dans le fils; ces essais de psychologie se prolongent jusqu'à ce que la nourrice ait découvert l'épingle, cause réelle de tout. »

 ALAIN

 


 

 

 


 

 

 

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