texte :problématique : la dialogue philosophique et la conversation courante

Publié le par MISTER L.

 

Texte. O.4

Dialogue entre Socrate et Gorgias. Socrate parle :

                                    J’imagine, Gorgias, que tu as, comme moi, assisté à bien des discussions et que tu as remarqué une chose, c’est que les interlocuteurs ont bien de la peine à définir entre eux le sujet qu’ils entreprennent de discuter et de terminer l’entretien après s’être instruits et avoir instruit les autres. Sont-ils en désaccord sur un point et l’un prétend –il que l’autre parle avec peu de justesse ou de clarté, ils se fâchent  et s’imaginent que c’est par envie qu’on les contredit et qu’on leur cherche chicane (1), au lieu de chercher la solution au problème à débattre. Quelques-uns mêmes se séparent à la fin comme des goujats (2), après s’être chargés d’injures et avoir échangé des propos tels que les assistants s’en veulent à eux-mêmes d’avoir eu l’idée d’assister à de pareilles disputes.

Pourquoi dis-je ces choses ? C’est qu’en ce moment tu me parais exprimer des idées qui  ne concordent pas tout à fait et ne sont pas en harmonie avec ce que tu as dit d’abord de la rhétorique (3). Aussi j’hésite à te réfuter(4)  : j’ai peur que tu ne te mettes en tête que, si je parle, ce n’est pas pour éclaircir le sujet, mais  pour te chercher chicane à toi-même.

Si donc tu es un homme de ma sorte, je t’interrogerai volontiers ; sinon, je m’en tiendrai là. De quelle sorte suis-je donc ? Je suis de ceux qui ont plaisir à être réfutés, s’ils disent quelque chose de faux, et qui ont plaisir aussi à réfuter les autres, quand ils avancent quelque chose d’inexact, mais qui n’aiment pas moins à être réfutés qu’à réfuter. Je tiens en effet, qu’il y a  plus à gagner à être réfuté, parce qu’il est bien plus avantageux d’être soi-même délivré du plus grand des maux que d’en délivrer autrui ; car, à mon avis, il n’y a pas pour l’homme rien de si funeste que d’avoir une opinion fausse sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Si donc tu affirmes être dans les mêmes dispositions que moi, causons ; si au contraire tu es d’avis qu’il faut en rester là, restons- y et finissons la discussion.

                                                                                   PLATON, extrait de Gorgias ( 458 a)   

Vocabulaire :

(1) Chicane : Ici, querelle de mauvaise foi ; (2) Goujats : grossiers personnages

(3) Rhétorique : art du beau discours. Les sophistes ( « adversaires » de Platon) enseignaient ces techniques utiles à ceux qui souhaitent séduire ou convaincre.. ; ( 4) Réfuter : contredire, démontrer la fausseté d’une affirmation  par des preuves contraires.

 

 

 

PLATON Gorgias

 

Les copies ont pour la plupart, lu en diagonale le texte, les oppositions ne sont caractérisées que de façon succincte ou approximative et le problème est mal unifié. Ce corrigé entend porter l’accent sur les réseaux d’oppositions qui permettent de formuler ensuite le problème en l’explicitant.

 

Platon souligne le contraste entre deux attitudes communes et le dialogue philosophique.
Dans le dialogue de sourds , c’est non seulement l’entente qui fait défaut, mais aussi la  rigueur. On parle, peut être, pour le plaisir de parler, sans le souci d’écoute, ou pour le plaisir d’afficher son savoir Il  n’ y a pas de partage, les interlocuteurs restent extérieurs les uns aux autres., ils ne s’apprennent rien, ils s’expriment. La conversation ne suit aucune règle précise, ce qui les rendent approximatifs, tant dans l’analyse ( ou dans la définition des sujets) que dans la synthèse ( la conclusion). le pire, du point de vue philosophique, c’est cette impression de suffisance.

L’attitude passionnée présuppose, au moins l’écoute, l’attachement à ses idées, voire l’opiniâtreté, mène au conflit et rend impossible de mener à son terme toute discussion : l’irritation, l’injure, l’insulte sont autant d’expressions de la démesure et sont directement condamnés par Platon qui juge lamentable certaines dérives.

 

Ces deux exemples servent à mettre en évidence la spécificité de la démarche philosophique, ce qui est nettement indiqué par l expression de la ligne 14.

Quels sont les caractéristiques  de cette attitude ?

-          un souci de vérité : l’impression que l’autre s’est trompé est réintérrogée, mise en doute et non pas définitive. Le jugement entend se fonder en raison et demande une précision. Il s’agit de vérifier si la compréhension est bonne.

-          un souci de rationalité : Il s’agit de ne pas fuir les contradictions mais de les affronter afin de les surmonter et de ne pas rester dans l’erreur. La « cohérence » ( ligne 16) est ici une valeur fondamentale.

-          un souci de clarté : Socrate présente qui il est, expose ses intentions. La fin de l’entretien ne consiste pas  à critiquer, à affaiblir mais à rendre parfaitement clair le sujet ligne 19. La réfutation est au service de l’amitié, elle aide à accoucher les esprits.

-          un souci de bonne entente : amitié, plaisir et sincérité permettent de se retrouver. Socrate est attentif, il prend soin de ne pas heurter son ami, il le prépare à la critique et lui demande s’il souhaite cheminer ( cf aussi lignes 21, 32)

-          un dépassement de l’opinion commune : Etre réfuté n’est pas une menace mais une chance. La vérité a plus de valeur que la sécurité. Si être réfuté peut sembler risqué, ça permet de soigner des fausses idées. Il y a donc ici, un caractère médicinal : la philosophie soigne les maux, elle purifie les idées.

 

Ainsi, à l’opinion s’oppose, la vérité, à la passion, la raison, à la confusion, la clarté, à la querelle, la clarté, à la sécurité, le risque, au même , l’autre, à l’impression de savoir l’ignorance socratique.

 

 

Le problème est le suivant : La réfutation est-elle un frein à la discussion ?

L’opinion commune voit dans les entretiens, l’occasion de s’exprimer, et dans la réfutation une menace alors que la philosophie conçoit le dialogue comme un cheminement bienveillant vers la vérité, ce qui suppose des règles sans exclure, pour autant le plaisir, le risque, et sans omettre la prudence ou la précision. Suffit-il dès lors de s’exprimer pour dialoguer ? Faut-il préférer la sécurité à la vérité ? Comment un entretien peut-il devenir enrichissant et quels sont le obstacles à l’éclaircissement de idées ? Le centre du problème repose sur l’opposition entre pouvoir et savoir, c’est-à-dire entre deux façons de se rapporter au langage et à la vérité. La réfutation représente-t-elle une menace  pour l’intégrité ? Le même est-il préférable à l’autre ? La perte de soi est-elle au bout de la contradiction ?

Les enjeux sont multiples : Il y a ici, une éthique de l’échange. A quelles conditions, une rencontre peut-elle nous enrichir ? Comment surmonter la peur d’être réfuté ?Il nous invite à maîtriser nos passions . Du point de vue de la connaissance, le texte est riche d’enseignements, et montre les bienfaits de l’exercice rationnel, le langage peut être instrument de vérité .Socrate nous invite à méditer les précautions d’usage…Que ce texte soit extrait d’un célèbre dialogue où il est question de rhétorique  ( Gorgias) ne devait pas vous laisser indifférent…

 

 

 

 

 

 

Publié dans Explications de texte

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